Cette nouvelle interview s’inscrit dans une série d’échanges avec celles et ceux qui réinventent le sextoy fantasy, entre artisanat, design et engagement.
Avec Sinnovator, j’ai eu envie de donner la parole à une marque britannique à part : indépendante, reconnue, et profondément marquée par une volonté de faire mieux que ce que le marché proposait. Derrière ses modèles imposants et son imagerie mythologique, c’est une équipe lucide, créative et engagée qui repense aujourd’hui toute sa collection, sans jamais céder sur la qualité ni sur l’éthique.
Dans cette interview, ils reviennent sur la refondation de la marque, leur rapport au design, aux matériaux, à la logistique post-Brexit… et sur ce que ça signifie, concrètement, de faire les choses bien dans un secteur qui ne l’exige pas.
Sinnovator : renaissance d’une marque indépendante et engagée
Basée au Royaume-Uni, Sinnovator est une marque fondée par une équipe issue du e-commerce, qui a décidé de reprendre un projet existant pour le transformer de fond en comble. Loin du marketing creux ou des effets de mode, ils conçoivent des sextoys imposants, exigeants, pensés pour le plaisir mais sans compromis sur la sécurité ou la qualité.
Reconnue pour son esthétique inspirée des mythes et des figures monstrueuses, la marque traverse aujourd’hui une phase de reconstruction complète : nouveaux moules, nouveaux matériaux, nouveau souffle créatif. Une démarche portée par une équipe lucide sur les failles du secteur, mais résolue à faire les choses bien.
Les marqueurs d’une identité forte
- Un univers esthétique audacieux : Formes imposantes, créatures hybrides, symbolique du péché… Sinnovator explore un imaginaire charnel et transgressif, sans chercher à lisser ses créations.
- Une refondation totale et maîtrisée : Après avoir racheté la marque, l’équipe a tout repris à zéro — moules, silicones, catalogue — pour redonner du sens à chaque étape de fabrication.
- Un positionnement haut de gamme assumé : Produits personnalisés, finitions soignées, contrôle total sur la production… Sinnovator revendique une approche “tailleur” du sextoy, bien loin des standards industriels.
- Une relation directe avec sa communauté : Le concours Rhino, les retours intégrés au design, les échanges transparents… tout concourt à construire une marque vivante, à l’écoute de ses fans.
À travers cette refonte, Sinnovator affirme une autre manière de faire : moins de compromis, plus de cohérence — et l’envie de construire un univers aussi exigeant qu’audacieux.
Reprendre le contrôle pour redonner du sens
Sinnovator n’est pas une marque née d’un business plan, mais d’un ras-le-bol. Derrière son esthétique soignée et ses formes sculpturales, il y a une équipe qui a fait le choix de reprendre le contrôle sur un projet dévoyé pour y remettre du sens. Vision, matériaux, plaisir d’usage : tout a été repensé. Et cette reconstruction, ils l’ont menée sans chercher à grossir à tout prix — mais en restant fidèles à une certaine idée de la qualité.
Un retour aux sources pour reconstruire un projet cohérent
L’histoire récente de Sinnovator n’est pas celle d’un simple développement de marque, mais d’un retour inattendu à un projet qu’ils pensaient avoir quitté. À l’origine, la marque appartenait à une autre entreprise, au sein de laquelle l’équipe actuelle assurait déjà le design et la production. Mais suite à des désaccords profonds avec la direction, ils décident de partir et fondent Uncover Creations, une marque indépendante orientée vers des designs plus légers et expérimentaux.
Quand l’entreprise d’origine fait faillite, ils rachètent Sinnovator. Et là, la réalité est brutale : « Ce qu’on a découvert était plutôt choquant — des années de négligence, un design pauvre, et une absence totale de vision qui ont fini par causer sa chute. »
Plutôt que d’essayer de sauver les meubles, l’équipe décide de repartir sur des bases solides. « Notre vision à long terme, c’est de ramener Sinnovator à ses racines. On veut créer des designs intéressants, mais qui soient réellement agréables à utiliser — pas juste impressionnants visuellement. » Cela implique une réécriture complète du catalogue : tous les moules sont refaits un par un, les silicones durs d’origine sont abandonnés au profit de formulations plus souples (0020 à 0040), et l’offre est réorganisée pour inclure à la fois des commandes personnalisées et une collection prête à l’envoi.
Un travail titanesque, mais nécessaire : « On refait toute la collection de moules, parce que ceux qu’on a récupérés sont en mauvais état. C’est un chantier énorme, mais c’est essentiel pour offrir la qualité que nos clients méritent. »
Engagements qualité, sécurité et pédagogie
Chez Sinnovator, l’engagement pour des matériaux sûrs est né d’un choc : « Il n’y a tout simplement aucune régulation dans le domaine des sextoys. » Même aujourd’hui, les produits en PVC ou jelly pullulent, portés par leur faible coût. « Il suffit de regarder n’importe quel grand distributeur : les rayons sont remplis de ces horreurs. »
Plutôt que de chercher à transformer l’industrie, la marque mise sur la pédagogie : « Le changement doit venir de la demande des clients, pas seulement des fabricants. » Une posture lucide, mais sans compromis : « C’est déprimant, mais on continuera à défendre le silicone platine, quoi qu’il arrive. »
Leur approche repose sur la transparence, la durabilité et un discours clair, loin des promesses marketing floues encore trop courantes. Sans faire de bruit, ils imposent un niveau d’exigence qui pousse doucement les standards vers le haut.
Trouver l’équilibre entre accessibilité et excellence
Produire au Royaume-Uni impose des coûts élevés. La question de l’accessibilité est donc posée autrement : « Offrir quelque chose de spécial qui justifie le prix, plutôt que de faire des compromis sur les matériaux ou la qualité de fabrication. »
Sinnovator préfère proposer un produit haut de gamme, personnalisable, durable, plutôt que d’entrer dans la logique du prix plancher. Un choix assumé, qui s’adresse à un public prêt à investir dans une expérience de qualité.
Imaginer, façonner, expérimenter
Chez Sinnovator, le design n’est pas un vernis marketing : c’est le cœur du projet. Chaque modèle est l’aboutissement d’un processus créatif hybride, mêlant inspiration organique, contraintes techniques, et retours d’usage. Loin des collections formatées ou des copies sans âme, la marque a construit un univers à part, où le fantastique se conjugue avec le fonctionnel. De la sculpture manuelle aux concours ouverts au public, leur approche du design est vivante, évolutive, et toujours ancrée dans une exigence de plaisir et de durabilité.
De l’argile aux tentacules : une évolution organique
À l’origine, chaque modèle Sinnovator était sculpté à la main, en argile. Un procédé artisanal, minutieux, qui permettait de donner du caractère aux formes — mais qui se révélait rapidement impraticable pour la production. « L’argile était géniale pour créer des prototypes, mais un cauchemar dès qu’il fallait décliner les tailles. »
Avec l’arrivée des outils de design 3D et de l’impression, leur approche s’est professionnalisée sans perdre sa touche personnelle. Cette transition technique leur a permis d’élargir la gamme, de gagner en précision, mais aussi de mieux répondre aux attentes du marché.
Car très tôt, leur ligne artistique était claire : tentacules, morphologies animales, univers aliens, avec une préférence marquée pour les grands formats. « Dès le début, on savait qu’on voulait couvrir ces thématiques. Et notre expérience avec Uberkinky nous avait appris qu’il fallait viser des tailles généreuses. »
Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, tout n’était pas cadré à l’avance. Leur trajectoire est faite d’essais, d’intuition, de retours client immédiats. « On a improvisé du début à la fin… et d’une certaine manière, on a réussi à créer une marque de niche qui fonctionne. » Un modèle créatif très réactif, presque organique, porté par l’écoute et l’expérimentation plutôt que par une vision figée du design.
Une esthétique haut de gamme assumée
Sinnovator ne cherche pas à plaire à tout le monde, ni à ratisser large. Leur ambition est ailleurs : créer des pièces uniques, pensées comme des objets à part entière. « On propose des jouets vraiment uniques à chaque commande. C’est un peu comme la différence entre un costume standard et un costume sur-mesure. On est plus tailleurs que boutique de prêt-à-porter. »
Ce parallèle avec la confection artisanale ne relève pas d’un simple effet de style : il résume leur approche du produit. Chaque modèle est disponible dans une variété de couleurs, de fermetés, de finitions… et l’ensemble du processus de fabrication reste entièrement maîtrisé en interne. Le but n’est pas d’impressionner par la forme seule, mais de proposer un jouet cohérent, bien conçu, qui tienne ses promesses dans l’usage.
Dans une industrie où le mot “luxe” est souvent galvaudé — ou perçu comme incompatible avec l’univers du sex toy — Sinnovator trace une ligne claire : qualité de fabrication, liberté de choix, attention au détail. Ce positionnement leur a d’ailleurs valu plusieurs récompenses dans les dernières années, qu’ils reçoivent comme des signes de reconnaissance, sans chercher à en faire une vitrine.
« Ce positionnement nous permet de garder nos standards et nos valeurs, peu importe l’état du marché ou les règles du secteur. » Dans un contexte encore peu régulé, cette stabilité éthique devient un marqueur de confiance pour les client·es les plus exigeant·es.
Briser un tabou technique : le cas des lubrifiants silicone
La plupart des fabricants recommandent d’éviter les lubrifiants à base de silicone avec des sextoys en silicone. Une précaution devenue réflexe — mais pas toujours justifiée. Sinnovator, de son côté, prend clairement position : leurs jouets sont compatibles avec ces lubrifiants, et ce n’est pas une promesse en l’air.
« Je pense que c’est une légende urbaine. Mais si j’ai tort, montrez-le-nous avec l’un de nos jouets, et on le remplacera gratuitement. »
Cette garantie repose sur des tests internes approfondis, menés avec différents types de lubrifiants, mais aussi sur leur formulation précise de silicone platine. Pour appuyer leur position, ils renvoient volontiers vers les explications claires publiées par SquarePeg — une autre marque artisanale réputée pour son exigence.
En choisissant de ne pas céder à la prudence commerciale, Sinnovator assume une transparence technique rare dans l’industrie. Et surtout, ils redonnent aux utilisateur·ices la liberté de choisir leur lubrifiant préféré, sans devoir faire de compromis par peur d’endommager leur jouet.
Créer avec sa communauté : au-delà de la simple vitrine
En 2022, Sinnovator a organisé un concours ouvert à ses fans pour concevoir un nouveau modèle. Le résultat : le Rhino, un sextoy né d’un concept soumis par un·e client·e, et choisi par vote public sur Twitter. Une initiative rare dans le secteur, qui aurait pu rester un coup ponctuel — mais qui a marqué un tournant dans leur rapport à la création.
« On a adoré ce projet. Ça nous a permis de nous reconnecter à notre communauté et d’intégrer des perspectives nouvelles. »
Créer des sextoys fantasy au quotidien, c’est aussi risquer de perdre du recul : « À force d’en voir passer tous les jours, on devient un peu aveugles. » Ouvrir le processus à d’autres imaginaires permet de bousculer les automatismes, de faire émerger des formes inattendues — et de nourrir une esthétique qui reste vivante.
Aujourd’hui, cette démarche se poursuit via Uncover Creations, leur seconde marque, plus expérimentale. Un nouveau concours y est actuellement en cours, avec la possibilité que certains designs soient intégrés à la collection Sinnovator si l’univers s’y prête. Preuve que pour cette équipe, l’innovation passe aussi par l’écoute et la co-création.
Entrepreneuriat, communication et logistique
Chez Sinnovator, entreprendre ne se limite pas à produire des sextoys originaux. C’est aussi composer avec une industrie encore largement non régulée, des enjeux logistiques complexes, et un rapport public souvent ambivalent à la sexualité et au plaisir. Entre gestion des douanes, collaborations avec les créateur·ices de contenu, et positionnement face au marché global, la marque navigue avec lucidité — sans perdre de vue ses engagements ni son autonomie.
Naviguer dans un monde post-Brexit
Quand le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, les conséquences ne se sont pas limitées aux gros industriels. Pour une marque artisanale comme Sinnovator, les effets ont été immédiats, profonds, et toujours visibles aujourd’hui.
« Ça a été un cauchemar, honnêtement. Le Brexit nous a touchés autant personnellement que professionnellement. »
À une époque, ils avaient fait le choix rare (et apprécié) d’absorber eux-mêmes les frais de douane pour leurs client·es européen·nes — un système DDP (Delivered Duties Paid) coûteux mais rassurant. Cette stratégie a dû être abandonnée, faute de viabilité financière. « On a dû arrêter. Ça devenait tout simplement trop cher pour nous. »
Depuis, les ventes vers l’UE n’ont jamais retrouvé leur niveau d’avant. Pour contourner les obstacles, l’équipe réfléchit à s’implanter durablement sur le continent, mais le projet reste complexe. « On essaie de se structurer dans l’UE, mais à moins de lancer une production locale, les frais d’importation resteront là. »
Ironiquement, les États-Unis apparaissent comme une option plus logique, compte tenu du marché potentiel. Rien n’est acté, mais tout est sur la table : production secondaire, logistique délocalisée… avec un seul objectif : continuer à servir leur communauté internationale, sans renier leurs exigences ni compromettre leur viabilité.
Influenceurs et contenu : un levier décisif
Pour Sinnovator, les créateur·ices de contenu ne sont pas des vitrines publicitaires — ce sont des partenaires clés dans la construction d’un imaginaire et la démocratisation des sextoys fantasy. Leur influence s’est révélée décisive dès les débuts, notamment lors du lancement du Dagon, l’un de leurs modèles phares.
« Une bonne partie de notre succès initial leur revient. Ils nous ont permis de faire connaître le Dagon à bien plus de monde qu’on n’aurait pu toucher seuls. »
Au-delà de la portée, c’est la capacité des influenceur·euses à contextualiser les objets, à les intégrer dans des récits personnels ou des tests approfondis, qui a permis de désamorcer certaines réticences. Notamment face à des designs plus extrêmes, ou des formats XXL encore tabous pour une partie du public.
« Il y a quatre ou cinq ans, personne ne proposait de tentacules de plus de 50 cm… aujourd’hui, on en voit un peu partout. » Les succès de certains modèles Sinnovator ont visiblement inspiré d’autres créateurs, preuve que cette visibilité a eu un impact structurel sur le marché.
Aujourd’hui encore, leur programme de collaboration reste actif, mais sélectif : la priorité est donnée à l’originalité, à la sincérité, et à la qualité du contenu plutôt qu’à la taille de l’audience. Une stratégie fidèle à leur éthique de marque.
Une dernière chose ?
Quand on leur demande s’ils ont un dernier mot à adresser à leurs client·es (ou futur·es client·es), la réponse fuse, sans détour : « Achetez nos jouets ! »
Une formule directe et sans fioritures — aussitôt suivie d’un message plus profond : « On met tout notre cœur et toute notre énergie dans chaque pièce qu’on fabrique. Et oui, elles valent chaque centime. »
Sinnovator ne cherche pas à séduire à tout prix. Leur démarche s’adresse à celles et ceux qui veulent autre chose que des objets banals : des formes conçues pour durer, pour explorer, pour ressentir. Et derrière chaque jouet, il y a une équipe qui croit encore en l’idée qu’un bon sextoy peut être un chef-d’œuvre fonctionnel.
Vision, rigueur, réinvention : la signature Sinnovator
Sinnovator n’est pas une marque née d’une passion romantique pour le silicone ni d’un storytelling calibré. C’est une entreprise reprise, désossée, puis entièrement reconstruite par une équipe qui a vu de l’intérieur ce que devenait une marque quand elle perdait sa vision.
Leur force, c’est cette lucidité : voir clair dans les failles de l’industrie, comprendre ce que veulent les clients, et oser repartir à zéro pour faire mieux. Ils n’ont pas suivi un plan parfait — ils ont expérimenté, corrigé, recommencé. Et c’est précisément ce qui rend leur projet si singulier : une marque à la fois structurée par l’expérience du e-commerce, mais animée par une logique artisanale, pragmatique et très incarnée.
Aujourd’hui, Sinnovator avance avec une vision claire : créer des jouets qui procurent un plaisir réel, pensés pour l’usage et pas seulement pour l’esthétique. Ils assument une identité visuelle forte, un positionnement haut de gamme, un contrôle total sur leur production, et des liens concrets avec leur communauté.
Ce n’est pas un discours bien rodé qui fait leur force, mais une exigence concrète : des choix clairs, une fabrication maîtrisée, et une sincérité qu’on retrouve à chaque étape.
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Note de transparence : après avoir réalisé cette interview, j’ai découvert que d’anciens membres de l’équipe initiale de Sinnovator ont partagé publiquement une version différente de l’histoire de la marque. L’équipe actuelle n’a pas souhaité répondre en détail à ces déclarations, préférant se concentrer sur son activité présente.
Je ne prends pas position sur ces divergences, mais j’ai choisi de maintenir la publication en toute transparence, en laissant chacun·e se faire sa propre opinion.
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